MR ERROL, LE MAESTRO DES AMPLIFICATEURS

Sans ces arti­sans de l’om­bre, les sound sys­tems ne seraient rien. Seuls capa­bles de façon­ner le son suiv­ant les spé­ci­fi­ca­tions du com­man­di­taire, ces ingénieurs éla­borent deux élé­ments fon­da­men­taux : les amplifi­ca­teurs et pré-amplifi­ca­teurs. Les sound­men en ont par­faite­ment con­science et se gar­dent bien de divulguer le nom de leur pro­tégé. D’ailleurs, lorsque vient le moment de se ren­dre en soirée, le pre-amp sur-mesure a le priv­ilège de voy­ager à l’a­vant du camion avec les mem­bres du sound. Cer­tains con­struc­teurs ont dépassé le statut de sim­ples fab­ri­cants pour devenir de véri­ta­bles stars du milieu. C’est le cas d’Errol Pret­tyger, plus con­nu sous le nom de Mr Errol. Entre­vue avec le mae­stro du fer à souder !

Cut­ting Edge – Pour­riez-vous m’en dire plus sur ce qui vous a amené à con­stru­ire du matériel pour sound systems ?

Mr Errol – Lorsque j’é­tais jeune, j’al­lais régulière­ment faire la fête avec des amis. L’un d’eux pos­sé­dait un radi­ogramme, ce fameux meu­ble qui com­bi­nait radio et tourne-disque ampli­fié. On l’ap­pelait Bluespot en référence à la mar­que alle­mande Blaupunkt qui le commercialisait.

Cet ami, qui se nom­mait Evans, dis­po­sait égale­ment de la meilleure musique du moment et jouis­sait d’une très bonne répu­ta­tion. Il était très demandé pour jouer ses dis­ques. C’é­tait vrai­ment les bal­bu­tiements des sound systems !

A par­tir d’un moment, nous avons req­uis plus de puis­sance pour dif­fuser notre musique. C’est alors qu’un autre ami, Chin, m’a demandé de con­cevoir un amplifi­ca­teur de 100 watts afin de pou­voir ali­menter plus d’en­ceintes. C’é­tait juste un amuse­ment pour nous à l’époque.

Les fêtes avaient prin­ci­pale­ment lieu au sein des maisons car, à cette époque, les per­son­nes orig­i­naires des Antilles n’é­taient pas vrai­ment les bien­v­enues dans les bals.

Le pre­mier sound sys­tem anglais vrai­ment con­séquent que j’ai con­nu por­tait le nom de Booth the Great Sebas­t­ian. Il était basé dans le sud de Lon­dres. Il y avait égale­ment Duke Vin The Tick­ler de Lad­broke Grove au nord de Londres.

Errol Pret­tyger dans les années 70© Errol Prettyger

Cut­ting Edge – Vous fréquen­tiez donc pas mal les soirées sound sys­tems à l’époque ?

Mr Errol – J’avais à peine vingt ans, j’é­tais dénué de toute oblig­a­tion et entouré de nom­breux amis. Je me rendais à beau­coup de soirées et je pre­nais du bon temps.

J’ai con­tin­ué à me ren­dre aux divers­es soirées, en par­ti­c­uli­er pour analyser la façon dont mon matériel fonc­tion­nait In Situ et réfléchir à d’éventuelles améliorations.

Cut­ting Edge – Carl (pro­prié­taire de Quak­er City, célèbre sound sys­tem de Birm­ing­ham) men­tionne dans une vidéo sur Inter­net [Lien] le nom d’Eddie The African comme étant votre inspi­ra­teur. Est-ce vrai ?

Mr Errol – Je con­nais Carl depuis au moins 40 ans. Il m’avait été présen­té ini­tiale­ment par Neville The Musi­cal Enchanter.

Je ne sais pas d’où il tire cette infor­ma­tion car je ne con­nais absol­u­ment pas Eddie The African ¹. Je n’ai jamais ren­con­tré ou été en rap­port avec cette personne.

Je n’ai reçu aucun tutorat de quiconque. Tout ce que je sais provient de mes années passées à l’u­ni­ver­sité à acquérir les qual­i­fi­ca­tions nécessaires.

Cecil (King Tub­by’s UK) et Lloy­die (Sir Cox­sone Out­er­na­tion­al) peu­vent con­firmer ce fait car je les ai con­nus à la même époque. Neville, lui, vivait aux Etats-Unis mais nous a quit­tés il y peu …

Il est pos­si­ble qu’il y ait une con­fu­sion car il existe un autre Errol ² qui con­ce­vait des amplifi­ca­teurs et qui vivait dans le nord de Lon­dres. On l’a tou­jours con­fon­du avec moi.

NB :
¹ Eddie Yehbuah, plus con­nu sous le nom de Mr Eddie ou Eddie The African fait par­tie des pre­miers con­cep­teurs de matériel pour sound sys­tems. Son quarti­er général se situ­ait au 64 Ash­more Road à Lon­dres. Il a comp­té par­mi ses illus­tres clients des gens comme Duke Vin, Admi­ral Ken, El Paso …

² L’autre Errol” men­tion­né est Errol Anglin qui était basé à Hen­don, au nord de Lon­dres. Ce dernier a conçu du matériel pour de nom­breux sounds, y com­pris le non moins célèbre King Jammy’s.

Cut­ting Edge – Il m’a été dit que vous aviez un poste impor­tant dans l’élec­tron­ique chez British Airways …

Mr Errol – Mon expéri­ence en élec­tron­ique a débuté en Jamaïque lorsque j’avais seize ans. Je pre­nais alors des cours par cor­re­spon­dance dans le domaine de la radio et télévi­sion. Lorsque je suis arrivé en Angleterre à l’âge de dix-sept ans, j’ai tout de même pour­suivi ce pro­gramme jusqu’à son terme, même si cela aurait été plus avan­tageux et économique de l’a­ban­don­ner au prof­it de cours du soir. Mais une fois engagé, j’ai préféré pour­suiv­re sur ma lancée et le terminer.

Par la suite, j’ai obtenu un emploi chez Philips Elec­tri­cal à Croy­don où j’ai oeu­vré dans dif­férents secteurs de la firme. J’ai fini par atter­rir dans le départe­ment de con­cep­tion à éla­bor­er des téléviseurs noir et blanc et couleur. Au sein de cette struc­ture, j’ai pu suiv­re une for­ma­tion diplô­mante de qua­tre ans qui enseignait à décel­er les défauts. 

En par­al­lèle, j’ai assisté aux cours du Wandsworth Tech­ni­cal Col­lege qui traitaient des télé­com­mu­ni­ca­tions durant qua­tre ans. Cela m’a per­mis d’en sor­tir qual­i­fié et d’ac­quérir le Diplôme Nation­al Supérieur en élec­tron­ique deux ans plus tard.

J’ai passé en tout et pour tout dix ans chez Phillips.

En juil­let 1966, j’ai com­mencé à tra­vailler chez British Air­ways dans le secteur des équipements radio et télévi­suels. Je suis ensuite passé à la tête d’une petite sec­tion chargée de con­cevoir et réalis­er des équipements spé­ci­fiques pour la com­pag­nie aéri­enne. Ceux-ci étaient dif­fi­ciles à se pro­cur­er ou par­fois plus renta­bles à fab­ri­quer sur place. J’ai passé mes trois dernières années chez British Air­ways à gér­er les sys­tèmes de ges­tion de mes­sagerie interne. J’ai pris ma retraite en mars 2000.

L’en­tre­prise Philips située à Croy­don dans les années 70© D.R.

Cut­ting Edge – Est-ce que cela vous a servi pour dévelop­per le matériel par la suite ?

Mr Errol – Je dirais que l’ex­péri­ence acquise au tra­vers de mes études et divers emplois m’a per­mis d’obtenir les capac­ités tech­niques. J’ai com­pris les réels besoins des opéra­teurs de sound sys­tems par le biais de leurs ques­tions, sug­ges­tions et erreurs. Ce mérite leur revient !

Cut­ting Edge – Vous êtes le pre­mier à avoir eu l’idée de con­cevoir un pré-amplifi­ca­teur per­me­t­tant de sépar­er Bass & Tre­ble. Com­ment vous est venue cette idée ?

Mr Errol – Cela coïn­cidait avec le développe­ment des dis­ques jamaï­cains où les mix­ages don­naient l’im­pres­sion que le chanteur se reti­rait ou que l’emphase était portée sur la basse ou les aigus. C’est dans l’op­tique de recréer cet effet sur un disque dépourvu de ce traite­ment sonore que le pré-amplifi­ca­teur Bass & Tre­ble a été développé.

Cut­ting Edge – Com­bi­en de mod­èles de pré-amplifi­ca­teurs avez-vous développés ?

Mr Errol – Mes pre­miers pré-amplifi­ca­teurs util­i­saient la tech­nolo­gie à lam­pes, util­isant plusieurs tubes. Ils offraient la palette de con­trôle suiv­ante : réglage du vol­ume micro et pla­tine, basse et aigu. J’ai ensuite évolué vers les pré-amplifi­ca­teurs à tran­sis­tors, la com­plex­ité des com­man­des aug­men­tant par la même occa­sion. On pou­vait dès lors utilis­er deux platines et avoir un con­trôle plus poussé dans les reg­istres basse et aigu, en par­ti­c­uli­er grâce à l’a­jout de deux interrupteurs. 

Le célèbre Mag­num était le pre­mier du genre à dis­soci­er les fréquences bass­es des aigus. Mal­heureuse­ment, l’élec­tron­ique de cette péri­ode était enrobée d’un com­posé solide, ce qui rendait les répa­ra­tions extrême­ment ardues. 

L’évo­lu­tion suiv­ante, com­muné­ment appelé le long pre-amp, était doté d’un égaliseur graphique à 10 ban­des. Son suc­cesseur, lui, se présen­tait sous la forme d’un pupitre avec des fonc­tion­nal­ités proches d’une table de mix­age. Celui-ci pos­sé­dait des réglages indépen­dants sur chaque tranche (basse, aigu, vol­ume, envoi d’é­cho). Cepen­dant, il con­ser­vait les car­ac­téris­tiques types d’un pré-amplifi­ca­teur conçu pour le sound sys­tem, c’est-à-dire un égaliseur et une sépa­ra­tion des fréquences en trois voies cette fois-ci (basse, médi­um, aigu). Cela impli­quait donc l’u­til­i­sa­tion de trois amplifi­ca­teurs indépen­dants, un pour chaque plage de fréquence. Un delay était incor­poré mais par la suite, j’ai pro­posé un mod­èle sen­si­ble­ment iden­tique mais sans cette option.

Pré-amplifi­ca­teur – Mod­èle « Long » – © Cut­ting Edge

Cut­ting Edge – Vous avez large­ment par­ticipé au développe­ment des effets sonores. Quel a été le déclic ?

Mr Errol – Tout est par­ti d’une demande de Fes­tus qui fai­sait par­tie de Sir Cox­sone Out­er­na­tion­al. Il voulait recréer l’ef­fet d’un coup de feu. J’ai eu l’idée de détourn­er un ressort ini­tiale­ment util­isé pour retarder le son et de lui injecter une brève dose de courant dans les spires. C’est ain­si qu’est né l’ef­fet gun shot ! Il a con­nu un tel engoue­ment que j’ai cher­ché un moyen alter­natif pour obtenir le même résul­tat tout en pal­liant au manque de fia­bil­ité des ressorts. J’ai alors conçu un boîti­er d’ef­fets com­mandés par micro­processeur. Lors de la pro­gram­ma­tion, on pou­vait décider des sons à insér­er, ce qui offrait un max­i­mum de mod­u­lar­ité. La com­bi­nai­son de ceux-ci offrait des pos­si­bil­ités encore plus vastes.

Boîti­er d’ef­fets sonores conçu par Mr Errol – © Cut­ting Edge

Cut­ting Edge – Pou­vez-vous me par­ler un peu de vos amplificateurs ?

Mr Errol – Le pre­mier amplifi­ca­teur que j’ai conçu fonc­tion­nait avec qua­tre lam­pes de type KT88. Je l’avais fab­riqué pour mon ami Evans dont je vous ai par­lé précédem­ment. Il pos­sé­dait un sound sys­tem très pop­u­laire sur Brix­ton et ses envi­rons qui se nom­mait Savoy Jazz Beat.

Il était scindé en deux par­ties : une pour l’al­i­men­ta­tion et une sec­onde pour l’amplification. 

Lorsque j’ai débuté la fab­ri­ca­tion, j’ai réal­isé que quelques règles de base devaient être adop­tées pour per­me­t­tre aux opéra­teurs une util­i­sa­tion plus aisée. De cette façon, les erreurs pou­vaient été éliminées.

Par exem­ple, les amplifi­ca­teurs à lam­pes ne devaient pas être mis en route sans au moins un haut-par­leur de con­nec­té. Ce n’é­tait pas le cas des amplifi­ca­teurs à tran­sis­tors et Mos­fet qui pou­vaient être mis en route sans aucune enceinte rac­cordée. Il y avait égale­ment en façade un nom­bre de sor­ties pro­por­tion­nel à la quan­tité de baf­fles qu’il était pos­si­ble d’al­i­menter (un haut-par­leur unique­ment par prise).

Mes pre­miers amplifi­ca­teurs ont été conçus lorsque les Good­mans de 18″ ou les Tan­noy de 15″ étaient dans l’air du temps. Ces haut-par­leurs avaient une impé­dance de 15 ohms. L’im­pé­dance de sor­tie de chaque haut-par­leur a donc été conçue pour être de 15 ohms. Cepen­dant, avec l’avène­ment des haut-par­leurs d’im­pé­dance 8 ohms, les amplifi­ca­teurs précé­dents ont été mod­i­fiés pour con­corder avec ces nou­veaux haut-parleurs.

Les amplifi­ca­teurs à tran­sis­tors ont été dévelop­pés afin de min­imiser les défail­lances. Ain­si, le châs­sis com­por­tait non pas un, mais qua­tre blocs d’am­pli­fi­ca­tion. Par con­séquent, si l’un venait à défail­lir, les trois autres pre­naient le relais durant la soirée. Cepen­dant, une seule ali­men­ta­tion était présente et en cas d’in­ci­dent, les amplifi­ca­teurs étaient tous hors-ser­vice. Les sources de pannes provenant essen­tielle­ment des amplifi­ca­teurs, ça reste un bon compromis.

Le fameux tube KT88 - © Cut­ting Edge

Cut­ting Edge – L’un des sound sys­tems les plus célèbres à avoir util­isé votre matériel est Sir Cox­sone Out­er­na­tion­al. Com­ment avez-vous ren­con­tré Lloydie ?

Mr Errol – Je con­nais Lloy­die depuis main­tenant quar­ante ou quar­ante-cinq ans. Nous avons été présen­tés par un ami com­mun qui pos­sé­dait un des amplifi­ca­teurs que j’avais con­stru­its. Cela a été le point de départ d’une longue ami­tié. Dès lors, j’ai dévelop­pé un grand nom­bre d’équipement pour son sound sys­tem. Etant retiré de ce champs d’ac­tiv­ité depuis plus de 15 ans, je pré­sume que Lloy­die a du se tourn­er vers d’autres con­struc­teurs pour faire évoluer son sound system.

Cut­ting Edge – Peu de gens savent qu’au-delà d’être un ingénieur émérite dans le domaine de l’élec­tron­ique, vous avez égale­ment des con­nais­sances en matière de con­cep­tion d’enceintes.

Mr Errol – J’ai en effet conçu les enceintes de Sir Cox­sone. L’ob­jec­tif étant d’obtenir une basse plus pro­fonde tout en min­imisant la taille des box­es. Je pense que nous sommes par­venus à un résul­tat plutôt satisfaisant !

Voici un panora­ma con­den­sé des sound sys­tems ayant util­isé le matériel de Mr Errol :

  • All Nations Club,
  • Ben­gi,
  • CB The Cool Fool,
  • Cos­ma Hi Power,
  • D Nun­nis,
  • Derek,
  • Don­ny King,
  • Duke Lee,
  • Duke Roy,
  • Fan­so,
  • Front Line,
  • Iwah
  • Killer­watt,
  • King Tub­by’s,
  • Neville Enchanter,
  • Nyah Esq.,
  • Pres­i­dent,
  • Quak­er City,
  • Rene­gade Brigade,
  • Savoy Jazz Beat,
  • Sax­on,
  • Sir Cox­sone Outernational,
  • Sledge­ham­mer,
  • Small Axe,
  • TWJ,
  • Was­si­fa,
  • Young Lion.