Sans ces artisans de l’ombre, les sound systems ne seraient rien. Seuls capables de façonner le son suivant les spécifications du commanditaire, ces ingénieurs élaborent deux éléments fondamentaux : les amplificateurs et pré-amplificateurs. Les soundmen en ont parfaitement conscience et se gardent bien de divulguer le nom de leur protégé. D’ailleurs, lorsque vient le moment de se rendre en soirée, le pre-amp sur-mesure a le privilège de voyager à l’avant du camion avec les membres du sound. Certains constructeurs ont dépassé le statut de simples fabricants pour devenir de véritables stars du milieu. C’est le cas d’Errol Prettyger, plus connu sous le nom de Mr Errol. Entrevue avec le maestro du fer à souder !
Cutting Edge – Pourriez-vous m’en dire plus sur ce qui vous a amené à construire du matériel pour sound systems ?
Mr Errol – Lorsque j’étais jeune, j’allais régulièrement faire la fête avec des amis. L’un d’eux possédait un radiogramme, ce fameux meuble qui combinait radio et tourne-disque amplifié. On l’appelait Bluespot en référence à la marque allemande Blaupunkt qui le commercialisait.
Cet ami, qui se nommait Evans, disposait également de la meilleure musique du moment et jouissait d’une très bonne réputation. Il était très demandé pour jouer ses disques. C’était vraiment les balbutiements des sound systems !
A partir d’un moment, nous avons requis plus de puissance pour diffuser notre musique. C’est alors qu’un autre ami, Chin, m’a demandé de concevoir un amplificateur de 100 watts afin de pouvoir alimenter plus d’enceintes. C’était juste un amusement pour nous à l’époque.
Les fêtes avaient principalement lieu au sein des maisons car, à cette époque, les personnes originaires des Antilles n’étaient pas vraiment les bienvenues dans les bals.
Le premier sound system anglais vraiment conséquent que j’ai connu portait le nom de Booth the Great Sebastian. Il était basé dans le sud de Londres. Il y avait également Duke Vin The Tickler de Ladbroke Grove au nord de Londres.

Cutting Edge – Vous fréquentiez donc pas mal les soirées sound systems à l’époque ?
Mr Errol – J’avais à peine vingt ans, j’étais dénué de toute obligation et entouré de nombreux amis. Je me rendais à beaucoup de soirées et je prenais du bon temps.
J’ai continué à me rendre aux diverses soirées, en particulier pour analyser la façon dont mon matériel fonctionnait In Situ et réfléchir à d’éventuelles améliorations.
Cutting Edge – Carl (propriétaire de Quaker City, célèbre sound system de Birmingham) mentionne dans une vidéo sur Internet [Lien] le nom d’Eddie The African comme étant votre inspirateur. Est-ce vrai ?
Mr Errol – Je connais Carl depuis au moins 40 ans. Il m’avait été présenté initialement par Neville The Musical Enchanter.
Je ne sais pas d’où il tire cette information car je ne connais absolument pas Eddie The African ¹. Je n’ai jamais rencontré ou été en rapport avec cette personne.
Je n’ai reçu aucun tutorat de quiconque. Tout ce que je sais provient de mes années passées à l’université à acquérir les qualifications nécessaires.
Cecil (King Tubby’s UK) et Lloydie (Sir Coxsone Outernational) peuvent confirmer ce fait car je les ai connus à la même époque. Neville, lui, vivait aux Etats-Unis mais nous a quittés il y peu …
Il est possible qu’il y ait une confusion car il existe un autre Errol ² qui concevait des amplificateurs et qui vivait dans le nord de Londres. On l’a toujours confondu avec moi.
NB :
¹ Eddie Yehbuah, plus connu sous le nom de Mr Eddie ou Eddie The African fait partie des premiers concepteurs de matériel pour sound systems. Son quartier général se situait au 64 Ashmore Road à Londres. Il a compté parmi ses illustres clients des gens comme Duke Vin, Admiral Ken, El Paso …
² L’autre “Errol” mentionné est Errol Anglin qui était basé à Hendon, au nord de Londres. Ce dernier a conçu du matériel pour de nombreux sounds, y compris le non moins célèbre King Jammy’s.
Cutting Edge – Il m’a été dit que vous aviez un poste important dans l’électronique chez British Airways …
Mr Errol – Mon expérience en électronique a débuté en Jamaïque lorsque j’avais seize ans. Je prenais alors des cours par correspondance dans le domaine de la radio et télévision. Lorsque je suis arrivé en Angleterre à l’âge de dix-sept ans, j’ai tout de même poursuivi ce programme jusqu’à son terme, même si cela aurait été plus avantageux et économique de l’abandonner au profit de cours du soir. Mais une fois engagé, j’ai préféré poursuivre sur ma lancée et le terminer.
Par la suite, j’ai obtenu un emploi chez Philips Electrical à Croydon où j’ai oeuvré dans différents secteurs de la firme. J’ai fini par atterrir dans le département de conception à élaborer des téléviseurs noir et blanc et couleur. Au sein de cette structure, j’ai pu suivre une formation diplômante de quatre ans qui enseignait à déceler les défauts.
En parallèle, j’ai assisté aux cours du Wandsworth Technical College qui traitaient des télécommunications durant quatre ans. Cela m’a permis d’en sortir qualifié et d’acquérir le Diplôme National Supérieur en électronique deux ans plus tard.
J’ai passé en tout et pour tout dix ans chez Phillips.
En juillet 1966, j’ai commencé à travailler chez British Airways dans le secteur des équipements radio et télévisuels. Je suis ensuite passé à la tête d’une petite section chargée de concevoir et réaliser des équipements spécifiques pour la compagnie aérienne. Ceux-ci étaient difficiles à se procurer ou parfois plus rentables à fabriquer sur place. J’ai passé mes trois dernières années chez British Airways à gérer les systèmes de gestion de messagerie interne. J’ai pris ma retraite en mars 2000.

Cutting Edge – Est-ce que cela vous a servi pour développer le matériel par la suite ?
Mr Errol – Je dirais que l’expérience acquise au travers de mes études et divers emplois m’a permis d’obtenir les capacités techniques. J’ai compris les réels besoins des opérateurs de sound systems par le biais de leurs questions, suggestions et erreurs. Ce mérite leur revient !
Cutting Edge – Vous êtes le premier à avoir eu l’idée de concevoir un pré-amplificateur permettant de séparer Bass & Treble. Comment vous est venue cette idée ?
Mr Errol – Cela coïncidait avec le développement des disques jamaïcains où les mixages donnaient l’impression que le chanteur se retirait ou que l’emphase était portée sur la basse ou les aigus. C’est dans l’optique de recréer cet effet sur un disque dépourvu de ce traitement sonore que le pré-amplificateur Bass & Treble a été développé.
Cutting Edge – Combien de modèles de pré-amplificateurs avez-vous développés ?
Mr Errol – Mes premiers pré-amplificateurs utilisaient la technologie à lampes, utilisant plusieurs tubes. Ils offraient la palette de contrôle suivante : réglage du volume micro et platine, basse et aigu. J’ai ensuite évolué vers les pré-amplificateurs à transistors, la complexité des commandes augmentant par la même occasion. On pouvait dès lors utiliser deux platines et avoir un contrôle plus poussé dans les registres basse et aigu, en particulier grâce à l’ajout de deux interrupteurs.
Le célèbre Magnum était le premier du genre à dissocier les fréquences basses des aigus. Malheureusement, l’électronique de cette période était enrobée d’un composé solide, ce qui rendait les réparations extrêmement ardues.
L’évolution suivante, communément appelé le long pre-amp, était doté d’un égaliseur graphique à 10 bandes. Son successeur, lui, se présentait sous la forme d’un pupitre avec des fonctionnalités proches d’une table de mixage. Celui-ci possédait des réglages indépendants sur chaque tranche (basse, aigu, volume, envoi d’écho). Cependant, il conservait les caractéristiques types d’un pré-amplificateur conçu pour le sound system, c’est-à-dire un égaliseur et une séparation des fréquences en trois voies cette fois-ci (basse, médium, aigu). Cela impliquait donc l’utilisation de trois amplificateurs indépendants, un pour chaque plage de fréquence. Un delay était incorporé mais par la suite, j’ai proposé un modèle sensiblement identique mais sans cette option.

Cutting Edge – Vous avez largement participé au développement des effets sonores. Quel a été le déclic ?
Mr Errol – Tout est parti d’une demande de Festus qui faisait partie de Sir Coxsone Outernational. Il voulait recréer l’effet d’un coup de feu. J’ai eu l’idée de détourner un ressort initialement utilisé pour retarder le son et de lui injecter une brève dose de courant dans les spires. C’est ainsi qu’est né l’effet gun shot ! Il a connu un tel engouement que j’ai cherché un moyen alternatif pour obtenir le même résultat tout en palliant au manque de fiabilité des ressorts. J’ai alors conçu un boîtier d’effets commandés par microprocesseur. Lors de la programmation, on pouvait décider des sons à insérer, ce qui offrait un maximum de modularité. La combinaison de ceux-ci offrait des possibilités encore plus vastes.

Cutting Edge – Pouvez-vous me parler un peu de vos amplificateurs ?
Mr Errol – Le premier amplificateur que j’ai conçu fonctionnait avec quatre lampes de type KT88. Je l’avais fabriqué pour mon ami Evans dont je vous ai parlé précédemment. Il possédait un sound system très populaire sur Brixton et ses environs qui se nommait Savoy Jazz Beat.
Il était scindé en deux parties : une pour l’alimentation et une seconde pour l’amplification.
Lorsque j’ai débuté la fabrication, j’ai réalisé que quelques règles de base devaient être adoptées pour permettre aux opérateurs une utilisation plus aisée. De cette façon, les erreurs pouvaient été éliminées.
Par exemple, les amplificateurs à lampes ne devaient pas être mis en route sans au moins un haut-parleur de connecté. Ce n’était pas le cas des amplificateurs à transistors et Mosfet qui pouvaient être mis en route sans aucune enceinte raccordée. Il y avait également en façade un nombre de sorties proportionnel à la quantité de baffles qu’il était possible d’alimenter (un haut-parleur uniquement par prise).
Mes premiers amplificateurs ont été conçus lorsque les Goodmans de 18″ ou les Tannoy de 15″ étaient dans l’air du temps. Ces haut-parleurs avaient une impédance de 15 ohms. L’impédance de sortie de chaque haut-parleur a donc été conçue pour être de 15 ohms. Cependant, avec l’avènement des haut-parleurs d’impédance 8 ohms, les amplificateurs précédents ont été modifiés pour concorder avec ces nouveaux haut-parleurs.
Les amplificateurs à transistors ont été développés afin de minimiser les défaillances. Ainsi, le châssis comportait non pas un, mais quatre blocs d’amplification. Par conséquent, si l’un venait à défaillir, les trois autres prenaient le relais durant la soirée. Cependant, une seule alimentation était présente et en cas d’incident, les amplificateurs étaient tous hors-service. Les sources de pannes provenant essentiellement des amplificateurs, ça reste un bon compromis.

Cutting Edge – L’un des sound systems les plus célèbres à avoir utilisé votre matériel est Sir Coxsone Outernational. Comment avez-vous rencontré Lloydie ?
Mr Errol – Je connais Lloydie depuis maintenant quarante ou quarante-cinq ans. Nous avons été présentés par un ami commun qui possédait un des amplificateurs que j’avais construits. Cela a été le point de départ d’une longue amitié. Dès lors, j’ai développé un grand nombre d’équipement pour son sound system. Etant retiré de ce champs d’activité depuis plus de 15 ans, je présume que Lloydie a du se tourner vers d’autres constructeurs pour faire évoluer son sound system.
Cutting Edge – Peu de gens savent qu’au-delà d’être un ingénieur émérite dans le domaine de l’électronique, vous avez également des connaissances en matière de conception d’enceintes.
Mr Errol – J’ai en effet conçu les enceintes de Sir Coxsone. L’objectif étant d’obtenir une basse plus profonde tout en minimisant la taille des boxes. Je pense que nous sommes parvenus à un résultat plutôt satisfaisant !
Voici un panorama condensé des sound systems ayant utilisé le matériel de Mr Errol :
- All Nations Club,
- Bengi,
- CB The Cool Fool,
- Cosma Hi Power,
- D Nunnis,
- Derek,
- Donny King,
- Duke Lee,
- Duke Roy,
- Fanso,
- Front Line,
- Iwah
- Killerwatt,
- King Tubby’s,
- Neville Enchanter,
- Nyah Esq.,
- President,
- Quaker City,
- Renegade Brigade,
- Savoy Jazz Beat,
- Saxon,
- Sir Coxsone Outernational,
- Sledgehammer,
- Small Axe,
- TWJ,
- Wassifa,
- Young Lion.