Legs, dit The Giant, un nom qui impose d’emblée une cer­taine stature, un titre à la hau­teur de la notoriété qu’il s’est forgée auprès des sound­men. Cet orfèvre de l’am­pli­fi­ca­tion a su repouss­er les lim­ites. Pour preuve, les his­toires les plus rocam­bo­lesques à son sujet sont légion. Retour sur les pas du Géant !

Cut­ting Edge – Pou­vez-vous vous présenter ?

Legs The Giant – Je m’ap­pelle Carl mais on me surnomme Legs. Je suis né en Jamaïque en 1940. Je suis arrivé en Angleterre en 1960 et j’ai com­mencé à con­cevoir des amplifi­ca­teurs. C’est déjà ce que je fai­sais en Jamaïque.

Cut­ting Edge – Est-ce que vous viviez à Kingston ?

Legs The Giant – Oui, j’é­tais à Kingston. 

Cut­ting Edge – Quel a été le point de départ de cette voca­tion de con­struc­teur de matériel dédié au sound system ?

Legs The Giant – Je détiens mon savoir de Fred­dy, une des per­son­nes qui con­ce­vaient les amplifi­ca­teurs pour une grande firme qui se nom­mait Duke Reid. Mais laisse-moi te racon­ter com­ment tout a com­mencé. Je tra­vail­lais chez quelqu’un pour qui je gérais les dépôts de matériel et qui, en con­trepar­tie, me for­mait sur l’élab­o­ra­tion d’am­plifi­ca­teurs. Un beau jour, un ami tout droit venu de l’ar­rière-pays s’est présen­té pour com­man­der un nou­v­el amplifi­ca­teur. Je lui ai dit qu’une autre per­son­ne qui tra­vail­lait ici pou­vait s’en charg­er.
Il m’a alors dit, « Mais toi, tu peux le faire ?»
« Oui, je peux mais je ne suis pas expert.» 
« D’ac­cord, d’ac­cord, tu as mon feu vert ! Com­bi­en cela me coûterait ?», dit-il.
J’ai répon­du, «£40 ! Tu me vers­es dès main­tenant £20 pour acheter les com­posants et les £20 restantes lorsque tu vien­dras récupér­er l’am­plifi­ca­teur ter­miné.»
J’ai fab­riqué l’am­plifi­ca­teur et, comme con­venu, il est venu pren­dre pos­ses­sion de son achat. Lorsque j’ai essayé de le met­tre en marche, l’am­plifi­ca­teur a implosé ! J’ai donc été con­traint de le mon­tr­er à la per­son­ne pour qui je tra­vail­lais afin de lui deman­der de me venir en aide.
Il s’est tourné vers moi et m’a dit, « Tu fab­riques donc des amplifi­ca­teurs main­tenant ? Je ne savais que tu en étais capa­ble.»
J’ai dit, « Je ne sais pas vrai­ment, je m’ex­erce.»
Il m’a alors ques­tion­né, « Ok, tu veux que je le répare ?»
J’ai dit, « Oui !
Il m’a dit, « Quelle somme as-tu demandée pour fab­ri­quer cet amplifi­ca­teur ?
J’ai répon­du, «£40 !»
Et il ajou­ta, « Et com­bi­en as-tu récupéré pour le moment ?»
J’ai dit, « J’ai obtenu £20 et j’au­rai les £20 restantes lorsqu’il récupér­era l’am­plifi­ca­teur. »
Il annonça alors, « Je vais te dire un truc. J’en veux £40 pour le répar­er !»
J’ai immé­di­ate­ment riposté, « Com­ment peux-tu exiger £40 pour le dépan­nage alors que c’est le prix final de la vente et que les com­posants restent à ma charge ?»
Ce à quoi il a rétorqué, « Et bien, si tu n’é­tais pas apte à le faire, il ne fal­lait pas accepter l’of­fre de ce client ! J’en demande £40 pour le remet­tre en fonc­tion­nement !»
J’ai donc dit pour ma défense, « En Angleterre, ce n’est pas £40 ! Et je ne percevrai de sa part que £20 !»
Il a répon­du, « Je les prends ! Et tu sais quoi, tu tra­vailleras pour moi gra­tu­ite­ment jusqu’à ce que les £20 dues soient rem­boursées !»
Je me suis résolu à dire, « D’ac­cord !»
Il a donc réparé l’am­plifi­ca­teur. Cela lui a pris deux min­utes. Il est allé dans l’ar­rière-bou­tique pen­dant que j’at­tendais dans le mag­a­sin avec le client. Et subite­ment, on a enten­du de la musique qui émanait de l’ate­lier ! Et lorsqu’il est réap­paru, il s’est exclamé, « C’est résolu !»
J’ai acqui­escé, « Effec­tive­ment, on a pu l’en­ten­dre !» Et c’est donc lui qui a perçu l’ar­gent du client !

Cut­ting Edge – A quelle péri­ode êtes-vous arrivé en Angleterre ?

Legs The Giant – Je suis arrivé en Angleterre env­i­ron six mois plus tard. Je vivais alors dans le quarti­er de Shepherd’s Bush, à l’é­tage d’une bou­tique d’élec­tron­ique. Son pro­prié­taire s’ap­pelait Mason et le mag­a­sin por­tait le nom de Mason & Sons. Je me suis rapi­de­ment lié d’ami­tié avec son fils. Son père, qui vendait des télévi­sions, souhaitait que son fils lui emboîte le pas et l’aide à effectuer les répa­ra­tions. Il lui dis­ait donc, « Tu dois aller à l’é­cole, c’est là que tu pour­ras appren­dre le méti­er !»
Ensuite, il s’est tourné vers moi et m’a dit, « Carl, je vais te faire une propo­si­tion ! Tu entre­tiens avec mon fils une telle ami­tié que si tu vas à l’é­cole, je suis per­suadé qu’il te suiv­ra. Si tu acceptes, je t’of­frirai les frais de sco­lar­ité.»
J’ai répon­du sans atten­dre, « Evidem­ment, face à cette oppor­tu­nité, je ne peux que la saisir !»
Son fils était blanc, j’é­tais noir. A cette époque en Angleterre, il n’é­tait pas cou­tu­mi­er de côtoy­er des per­son­nes de couleur. Mais notre ami­tié tran­scendait ces bar­rières et il était mon ami. Il pas­sait le plus clair de son temps avec moi à l’é­tage.
Nous avons donc tous deux suivi ce cur­sus. C’est ain­si que j’ai appro­fon­di mes con­nais­sances en matière d’am­plifi­ca­teurs.
Les con­nais­sances en poche, j’ai alors conçu mon pre­mier véri­ta­ble amplifi­ca­teur. Je me suis ren­du chez Leak pour me pro­cur­er des con­den­sa­teurs car je ne savais pas où les obtenir.
Et le gars m’a dit, « Qu’est-ce que tu conçois ?»
J’ai expliqué, « J’es­saye de con­stru­ire un amplifi­ca­teur mais je recherche des con­den­sa­teurs. Pou­vez-vous m’en fournir ?»
Il a répon­du, « Oui, bien sûr ! Est-ce que je pour­rais jeter un oeil au pro­jet ?»
J’ai dit, « Bien enten­du !»
Je lui ai donc ramené mon amplifi­ca­teur. Il l’a observé en détails et m’a dit, « Oui, c’est du bon boulot !»
Obtenir un avis si ent­hou­si­aste de la part d’une entre­prise de cette renom­mée m’a encour­agé à per­sévér­er. Cela a donc été le point de départ. Le pre­mier amplifi­ca­teur que j’ai réal­isé délivrait 100 Watts. J’ef­fec­tu­ais les essais à l’é­tage et ça ne posait pas de prob­lème car il s’agis­sait d’un mag­a­sin d’élec­tron­ique. Je pou­vais donc me per­me­t­tre de faire un peu de bruit. Mais j’ai com­mencé à être plus bruyant, spé­ci­fique­ment la nuit et la police est donc venue. Ils m’ont donc ver­bal­isé pour nui­sances sonores. J’ai été con­vo­qué devant le tri­bunal et le juge m’a con­damné à pay­er Two Shillings and Six­pence à l’époque au motif de pol­lu­tion acous­tique. La dernière fois où je me suis présen­té devant la cour, ils ont prévenu, « Comme la pénal­ité finan­cière ne sem­ble avoir aucun impact. La prochaine fois que la police vien­dra, je leur deman­derai de saisir le matériel, met­tant ain­si fin à tout risque de récidive.» Suite à cette mise en garde, j’ai été plus mesuré et j’ai démé­nagé quelques temps après. J’ai ensuite été en mesure d’ac­quérir mon pro­pre domi­cile où j’ai com­mencé à organ­is­er des fêtes. C’est de là que provi­en­nent les fameuses Blues Dances. Cela a débuté par des soirées d’an­niver­saires, puis des fêtes de mariages. C’est ain­si que c’est apparu !

Cut­ting Edge – Est-ce que vous fréquen­tiez sou­vent les soirées sound sys­tem à l’époque ?

Legs The Giant – Oui !

Cut­ting Edge – Vous aviez un sound sys­tem de prédilec­tion ?

Legs The Giant – Non, pas vrai­ment. C’est plutôt eux qui me suiv­aient ! [rire]

Cut­ting Edge – Et cela, dans les années 60 ?

Legs The Giant – Oui, dans les années 60 !

Cut­ting Edge – Vous jouiez déjà sous le nom Legs the Giant’ ?

Legs The Giant Legs the Giant, oui ! Tout le monde te dira que c’é­tait le sound le plus imposant au niveau sonore. Tu sais, je l’ai conçu exacte­ment tel que je le voulais.

Cut­ting Edge – Vous aviez donc un amplifi­ca­teur unique qui cou­vrait l’in­té­gral­ité de la plage de fréquences ?

Legs The Giant – A l’époque, oui !

Cut­ting Edge – Il n’y avait pas encore de sépa­ra­tion des fréquences, deux voies ou trois voies ?

Legs The Giant – Non, c’est quelque chose qui a émergé dans les années 80. Ils ont alors dévelop­pé le « deux voies », « trois voies ». On appelait cela Top and Bot­tom.

Cut­ting Edge – Est-ce que vous util­isiez un pré-amplifi­ca­teur dans les années 60 ?

Legs The Giant – Oui !

Cut­ting Edge – Vous sou­venez-vous du tourne-disque que vous aviez à l’époque ?

Legs The Giant Gar­rard, l’an­cien mod­èle blanc dénom­mé 4HF. Il était mas­sif mais d’une fia­bil­ité sans faille. Tout le con­traire des mod­èles que l’on trou­ve sur le marché actuel. Gar­rard est une com­pag­nie alle­mande. L’u­sine de fab­ri­ca­tion était bien au Roy­aume-Uni mais c’est une firme alle­mande. Après le 4HF, j’ai fait l’ac­qui­si­tion d’un autre mod­èle auprès d’un mag­a­sin d’ob­jets de sec­onde main mais je ne parviens pas à me remé­mor­er la référence. C’é­tait un tourne-disque à entraine­ment direct. Il était pourvu d’un moteur de 600 tr /min. A la minute même où vous le démar­riez, le plateau atteignait sa vitesse max­i­male. Je me sou­viens que le bras était con­séquent. Il m’avait été dit que ce matériel prove­nait des stu­dios de la BBC.

Garrard 4HF
Tourne-disque mod­èle 4HF pro­duit par Gar­rard – © Cut­ting Edge

Cut­ting Edge – On lit de nom­breuses choses sur les réseaux soci­aux et une per­son­ne affir­mait que vous aviez une pro­fes­sion rel­a­tive à l’élec­tron­ique au sein d’une com­pag­nie aéri­enne. C’é­tait le cas d’Er­rol Pret­tyger que j’ai inter­viewé précédem­ment. Existe-t-il une con­fu­sion avec lui ou est-ce bien la réalité ?

Legs The Giant – Non, c’est tout à fait inex­act. C’est Errol qui tra­vail­lait pour une com­pag­nie aéri­enne, pas moi. Je suis un élec­tricien. C’est le pre­mier méti­er que j’ai exer­cé à Lon­dres où j’of­fi­ci­ais pour une entre­prise. Mon patron était en Alle­magne et on l’ap­pelait Rudy.

Cut­ting Edge – Avez-vous col­laboré avec d’autres con­struc­teurs comme Carl­ton The Mata­dor’ ? Un livre a récem­ment été pub­lié au sujet de la scène de Birm­ing­ham et il est men­tion­né comme un des con­struc­teurs les plus influents.

Legs The Giant – C’est un de mes amis. Son domaine, ce sont les télévi­sions et il excelle en la matière. Mais Carl n’est pas com­pé­tent quand il s’ag­it d’am­plifi­ca­teurs, crois-moi ! J’ai con­stru­it un amplifi­ca­teur pour son usage per­son­nel et il s’est appro­prié mon tra­vail en dis­ant à qui voulait bien l’en­ten­dre qu’il en était le con­struc­teur. Il a égale­ment ten­té de le mod­i­fi­er pour une rai­son indéter­minée mais au final, il l’a surtout endom­magé. Quand il est par­ti jouer à Wolver­hamp­ton, la soirée a avorté en rai­son des inter­férences générées par l’am­plifi­ca­teur. Il n’est jamais par­venu à une qual­ité sonore ! Comme je l’ai déjà dit, c’est un spé­cial­iste des télévi­sions, pas des amplificateurs.

Cut­ting Edge – Avez-vous croisé d’autres con­struc­teurs comme Per­ci­val Miller (bet­ter known as Metro’) ?

Legs The Giant Metro, c’est moi qui lui ai tout inculqué ! Je suis la per­son­ne qui a conçu le sound sys­tem de Metro ! Si tu te ren­seignes, si tu crois­es Metro, demande-lui ! Men­tionne juste le nom Legs et tu ver­ras ce qu’il te dit.

Cut­ting Edge – Con­naissiez-vous Kei­th Good­en, un con­struc­teur de Birm­ing­ham qui a fondé Link Audio Systems ?

Legs The Giant – Si je con­nais Kei­th ? C’est moi qui lui ai mis le pied à l’étri­er ! A l’o­rig­ine, son domaine de com­pé­tences était les alarmes, pas les amplifi­ca­teurs. Je l’ai poussé à se pencher sur cette dis­ci­pline. Il est mal­heureuse­ment décédé. On partageait sou­vent un bout de chemin ensem­ble. Il tra­vail­lait pour Lucas, une com­pag­nie qui fab­ri­quait des pièces d’au­to­mo­bile et plus par­ti­c­ulière­ment des bat­ter­ies. J’ai don­né un coup de pouce à Kei­th parce qu’il ne par­ve­nait pas à obtenir des composants.

Cut­ting Edge – Com­bi­en de temps avez-vous été en activ­ité avec le sound system ?

Legs The Giant – L’aven­ture a débuté dans les années 60. Je suis arrivé aux Etats-Unis en 1983. Et je dirais que le chapitre s’est clos au début des années 80.

Cut­ting Edge – Avez-vous lais­sé l’in­té­gral­ité de votre équipement en Angleterre lors de votre départ pour les Etats-Unis ?

Legs The Giant – Non, je n’ai rien emporté pour la sim­ple et bonne rai­son que j’é­tais capa­ble, si néces­saire, de tout recon­stru­ire ici.

Cut­ting Edge – Avez-vous égale­ment lais­sé der­rière vous votre col­lec­tion de disques ?

Legs The Giant – Non ! [rire] Les dis­ques ont en fait été volés. D’ailleurs, « volés » n’est pas le terme exact … Quand je suis par­ti en Amérique, j’ai con­fié la malle de dis­ques à la per­son­ne qui s’oc­cu­pait du sound sys­tem. On le surnom­mait Al Capone, c’é­tait un Dee­jay. Lors d’une brève vis­ite en Angleterre dans les années 2000, je lui ai demandé s’il était tou­jours en pos­ses­sion des dis­ques. Il m’a répon­du, « Je m’en suis débar­rassé !» Il les a ven­dus ! C’est stu­pide car cer­tains avaient une grande valeur.

Legs Blank Label
45 tours por­tant la griffe de Legs [The] Giant – © David Schis­ch­ka Thomas

Cut­ting Edge – J’ai enten­du un nom­bre incroy­able d’his­toires au sujet de votre sound sys­tem. Celle qui revient la plus sou­vent con­cerne la soirée au Win­son Green Com­mu­ni­ty Cen­tre’. Vous aviez appare­ment deux amplifi­ca­teurs équipés de tubes V1505’ (con­nus égale­ment sous l’ap­pel­la­tion de Rock­et Valve). Quand vous avez lais­sé vrom­bir la basse , les plombs du club ont sauté, plongeant l’en­droit dans l’ob­scu­rité. Est-ce vrai­ment ce qui s’est déroulé ?

Legs The Giant – Oui, c’est une his­toire vraie et les pan­neaux tombaient d’en haut. Tu vois ce type de pla­fond ? Les dalles du pla­fond s’ef­fondraient. C’est la stricte vérité ! [rire]

Tube V1505 de type tri­ode – © Cut­ting Edge

Cut­ting Edge – Quelle était la puis­sance de ces amplificateurs ?

Legs The Giant – La puis­sance de ces amplifi­ca­teurs était cen­sée être de 1100 Watts, et c’é­tait direct. Ce n’é­tait pas un cou­plage de 100 Watts plus 100 Watts plus 100 Watts … C’é­tait direct !

Cut­ting Edge – Aviez-vous dess­iné le sché­ma vous-même ?

Legs The Giant – Non, je n’ai pas dess­iné le sché­ma moi-même. Cette tâche a été déléguée à une tierce per­son­ne qui oeu­vrait pour la même entre­prise que moi en Angleterre. C’é­tait une firme qui se nom­mait Delta, fab­ri­cant de métal extrudé.

Delta Advert
Pub­lic­ité pour l’en­tre­prise Delta Met­al© D.R.

Cut­ting Edge – Avez-vous dévelop­pé des amplifi­ca­teurs sim­i­laires pour d’autres sound systems ?

Legs The Giant – J’en ai con­stru­it cinq au total. J’en pos­sé­dais un. J’en ai fab­riqué un exem­plaire pour une per­son­ne de Lon­dres qui se nom­mait Horace. Je pense qu’il est retourné en Jamaïque et qu’il a emmené l’am­plifi­ca­teur avec lui.
J’en ai fait un pour David basé à Lon­dres égale­ment. Un qua­trième pour Chin et un cinquième pour Stan, tous deux de Birm­ing­ham. Ces amplifi­ca­teurs étaient vrai­ment hors normes ! Per­son­ne ne l’avait fait aupar­a­vant ! La rai­son à cela est que sa ten­sion de 3000 Volts en effrayait plus d’un. Je veux dire par là que c’est plus que ce qu’ils utilisent ici aux Etats-Unis pour tuer les gens ! [rire]

Cut­ting Edge – J’ai égale­ment enten­du par­ler d’une soirée à Mount Pleas­ant’ à Birm­ing­ham. Juste en effleu­rant la pointe de lec­ture, les enceintes don­nèrent l’im­pres­sion de marcher ! 

Legs The Giant – Ils t’ont dit vrai ! Tout le monde a pris la fuite quand Ted­dy [mem­bre du sound sys­tem] a effleuré la pointe de lec­ture ! Ils pen­saient que le bâti­ment allait s’ef­fon­dr­er. Et les enceintes mar­chaient ! Oui, tu as bien enten­du, elles mar­chaient ! [laugh]

Cut­ting Edge – Durant cette soirée, la rumeur pré­tend que vous avez acci­den­telle­ment décimé douze haut-par­leurs à la fois.

Legs The Giant – Oui ! Les haut-par­leurs étaient sural­i­men­tés. Ils n’ont pas brûlé. La mem­brane du haut-par­leur venait per­cuter la grille. Cela leur a été fatal. Le sig­nal entrant don­nait une ampli­tude trop impor­tante à la membrane.

Cut­ting Edge – Quel mod­èle de haut-par­leurs util­isiez-vous à l’époque ?

Legs The Giant – J’u­til­i­sais des haut-par­leurs Good­mans, et unique­ment Good­mans. C’é­tait ma référence absolue !

Cut­ting Edge – Quelle était leur puis­sance ? 200 Watts ?

Legs The Giant – Oui, autre­fois la norme était de seule­ment 200 Watts. De nos jours, les fab­ri­cants pro­posent des haut-par­leurs de 1200 Watts, mais ça ne vaut rien ! Jadis, quand on fai­sait rugir la basse, tu ne peux pas imag­in­er le nom­bre de per­son­nes qui pou­vaient s’ef­fon­dr­er, sur­pris­es et saisies par l’in­ten­sité et la force des bass­es fréquences. Si on avait util­isé des haut-par­leurs de plus de 1000 Watts, on aurait eu des morts sur la conscience !

Cut­ting Edge – Actuelle­ment, beau­coup de sound sys­tems jouent en optant pour un crossover 4 ou 5 voies ? Qu’en pensez-vous ?

Legs The Giant – Ça n’a aucun sens ! [rire] Trois voies est ample­ment suff­isant, qua­tre est déjà excessif.

Cut­ting Edge – Je crois que vous avez con­tribué à l’éd­i­fi­ca­tion de Jun­gle Man’, célèbre sound sys­tem de Birm­ing­ham. Est-ce vrai ?

Legs The Giant – Oui ! Jun­gle Man était un sound sys­tem pour lequel ils n’avaient rien déboursé. J’ai con­stru­it Jun­gle Man à titre gra­cieux. Il y avait un jeune qui se nom­mait Clive qui était dans mon entourage. Il fai­sait par­tie d’un groupe de trente Ras­tas. Ces derniers avaient sou­vent des prob­lèmes avec la police. Un beau jour, Clive est venu pour me deman­der un ser­vice.
J’ai dit, « Quel ser­vice ?»
Il m’a alors demandé, « Peux-tu con­stru­ire un sound sys­tem pour mes amis ?»
J’ai alors dit, « Oui, à par­tir du moment où ils le finan­cent !»
Et Clive répon­dit, « Ils n’ont pas d’ar­gent.»
J’ai acqui­escé, « Bon ok, c’est pas grave !»
Je leur ai donc fab­riqué deux amplifi­ca­teurs à tubes de 600 Watts cha­cun. Ils se fai­saient appel­er Jun­gle Man, rough truck sound [Jun­gle Man, un sound sys­tem fort et puis­sant et par exten­sion un sound de durs à cuire] ! Et ils avaient du poten­tiel ! Ma femme avait pour habi­tude de me dire, « Pourquoi vas-tu voir jouer ces gars ?» A l’époque, ils pas­saient vrai­ment de bons morceaux, tout à fait le genre de musique que j’aimais. J’as­sis­tais donc à leurs soirées. Mais c’é­tait des jeunes, tu sai­sis !
Comme la police dis­ait, le sound sys­tem don­nait à ces mômes une ligne direc­trice pour les garder dans le droit chemin. Ils se sont un jour ren­dus aux Cham­bres du Par­lement. Et ils leur ont octroyé un camion flam­bant neuf et un finance­ment. Pharaoh, qui était le porte-dra­peau du groupe, m’a alors ren­du vis­ite et m’a demandé, « Legs, j’ai reçu de l’ar­gent du gou­verne­ment pour mon­ter un sound.»
Je me suis esclaf­fé, « Ah bon ?»
Il m’a dit, « Oui, es-tu prêt à me con­stru­ire un sound sys­tem ?»
J’ai répon­du, « Oui, de quoi as-tu besoin exacte­ment ?»
Pharaoh a alors com­mencé à énumér­er ses besoins et je lui ai dit com­bi­en cela lui en coûterait. Et il m’a dit, « Non mec, c’est beau­coup trop !»
J’ai coupé court à la dis­cus­sion, « Pharaoh, je vais te dire quelque chose, si tu trou­ves mieux ailleurs, alors n’hésite pas !»
Et c’est ce qu’ils ont fait puisqu’ils se sont ori­en­tés vers un autre con­struc­teur qui est Mack­ie et qui est basé à Der­by. Il leur a donc conçu un équipement com­plet et je suis allé l’é­couter pour me faire un avis. Je n’ai pas émis de juge­ment parce que je ne suis pas du genre à dén­i­gr­er le tra­vail d’un autre con­struc­teur. S’ils en sont sat­is­faits, qui suis-je pour dire quelque chose ?
Cela n’a pas duré et ils sont venus se plain­dre auprès de moi. Ils m’in­crim­i­naient et me por­taient respon­s­able de leur baisse de pop­u­lar­ité, d’avoir été spolié de leur titre de leader par un autre sound sys­tem local. En effet, d’autres jeunes m’avaient con­sulté et je leur ai conçu un sound sys­tem qui se serait appar­en­té à celui que j’au­rais réal­isé pour Jun­gle Man si nous avions col­laboré ensem­ble. Et ces jeunes ont pris l’as­cen­dant sur eux dans cette com­péti­tion qui fait rage entre sounds. C’est comme ça que ça s’est passé !
Lorsque j’ai con­stru­it la pre­mière ver­sion de Jun­gle Man, je vivais dans une zone rési­den­tielle où le voisi­nage était prin­ci­pale­ment blanc. Les mem­bres de Jun­gle Man pas­saient me ren­dre vis­ite après leurs soirées aux alen­tours de deux ou trois heures du matin. Ils sur­gis­saient avec leur camion diesel qui fai­sait un bruit assour­dis­sant, « broom, broom, broom !» [Legs imite le vrom­bisse­ment du camion]
Et un de mes voisins a com­mencé à se plain­dre, « Pourquoi ces gens débar­quent à des heures si tar­dives chez toi et font tout ce fra­cas avec leur camion ? Il m’est impos­si­ble de dormir !» Je suis donc allé leur par­ler et j’ai dit, « Pharaoh, tu ne peux pas con­tin­uer à venir ici !» Il m’a répon­du, « Mais j’ap­porte ton argent !» Car après leurs presta­tions, ils me rendaient vis­ite sur le chemin du retour pour me remet­tre un peu d’ar­gent. Ils me dis­aient vouloir me témoign­er leur grat­i­tude pour ce que j’avais fait pour eux. J’ai donc clar­i­fié avec Pharaoh, « Si l’ar­gent est l’ob­jet de ta vis­ite, ne t’embête pas avec ça, je préfère préserv­er la quié­tude dans mon voisi­nage !»
Dès lors, nous avons pris des dis­tances. Mais je suis celui qui leur a per­mis d’émerg­er sur la scène sound sys­tem. Mais ils ne fai­saient rien d’autre de que de créer des ennuis.

Jun­gle Man sound (Speedy, Fun­gi, Rizla, Black­wood, Pharaoh) – © Derek Bishton

Je me sou­viens d’une soirée où Jun­gle Man jouait face à un autre sound sys­tem de Coven­try. Un des amplifi­ca­teurs de Jun­gle Man était tombé et ils me l’avaient apporté pour tout remet­tre en ordre. Je l’ai réparé puis con­trôlé et la per­son­ne chargée de récupér­er l’am­plifi­ca­teur m’a dit, « Legs, je ne vais pas vous quit­ter !»
J’ai demandé, « Qu’en­tends-tu par là ?»
Il a répon­du, « Comme l’am­plifi­ca­teur était défail­lant, je veux que vous veniez avec moi pour nous assur­er qu’il sera opéra­tionnel ce soir.»
J’ai dit, « D’ac­cord !»
Quand je suis arrivé sur place, le sound sys­tem de Coven­try s’est instal­lé, puis a com­mencé à jouer et à invec­tiv­er au micro le Dee­jay de Jun­gle Man que je surnom­mais Phee. Son nom n’é­tait pas Phee mais il men­tion­nait sans arrêt Phee qui était en fait le nom de sa fille. Quand je suis entré, j’en­tendais déjà le type lui l’af­fubler toute sorte de noms d’oiseaux. Donc en pas­sant à prox­im­ité, je me suis per­mis de lui dire, « Joue ta musique et arrête tes bavardages intem­pes­tifs !»
Il s’est exclamé, « Ils pos­sè­dent 600 Watts de puis­sance et j’en ai égale­ment 600 Watts. Je suis donc libre de dire ce que j’ai envie de dire !»
J’ai répon­du, « Oui, mais ils vont t’anéan­tir ce soir !»
Jun­gle Man avait instal­lé qua­tre enceintes der­rière lui car il était posi­tion­né sur la scène. Il s’agis­sait de Quad box­es, cha­cune com­por­tant qua­tre haut-par­leurs de 46 cm.
Quand je suis arrivé sur le lieu de la soirée et que j’ai con­staté la dis­po­si­tion des enceintes, je savais d’ores et déjà que Jun­gle Man allait anni­hiler son rival.
Parce que la basse qui en sur­gis­sait était lourde et puis­sante ! Chaque enceinte por­tait un nom. Il y avait Haile Selassie, Mar­cus Gar­vey, … Elles étaient colos­sales, d’où le fait qu’ils les avaient bap­tisées en référence à ces per­son­nages.
Le sound­man de Coven­try pen­sait que ses con­cur­rents ne dis­po­saient que d’une puis­sance max­i­male de 600 Watts mais c’é­tait sans compter l’am­plifi­ca­teur addi­tion­nel de 600 Watts fraîche­ment achem­iné. D’au­tant plus que celui-ci allait servir à ampli­fi­er les enceintes qui se situ­aient der­rière lui. Ayant observé la con­fig­u­ra­tion et con­nais­sant sur le bout des doigts le matériel exploité, je savais exacte­ment ce qu’il allait se dérouler. Jun­gle Man a alors instal­lé les amplifi­ca­teurs et ils ont com­mencé à jouer. Je me suis dirigé vers le gars de Coven­try et je suis resté à ses côtés parce que je savais qu’ils allaient le pul­véris­er. Et j’ai alors enten­du Jun­gle Man dire, « Test numéro un, ligne de basse !» Et quand ils ont lais­sé échap­per la basse, il s’est presque effon­dré. Je l’ai alors empoigné pour l’ex­traire du sil­lage. J’ai ajouté, « Ne va pas là-bas parce que si tu y retournes, tu cours vers ta perdi­tion ! Ils t’ont piégé !»
Avant que je ne quitte la soirée, le type de Coven­try est venu vers moi et m’a dit, « Mer­ci infin­i­ment ! Mes amis m’avaient égale­ment avisé.» Ses cama­rades savaient que Jun­gle Man allait lui faire bar­rage. Après cela, ils ne lui ont pas lais­sé jouer un seul disque de la soirée.

Cut­ting Edge – Vous usiez égale­ment de cette tactique ?

Legs The Giant – Oui, je l’employais régulière­ment. Je suis celui qui l’a ini­tiée. Peu importe la démon­stra­tion à laque­lle j’as­sis­tais, je restais impas­si­ble jusqu’a ce que mon tour arrive. Après avoir joué qua­tre ou cinq dis­ques, je dis­ais, « A toi !» Mais vous étiez dans l’im­pos­si­bil­ité d’é­galer le niveau que je venais d’in­stituer. Impos­si­ble de rivalis­er. D’au­cune sorte ! Que ce soit par la qual­ité ou l’in­ten­sité, vous restiez murés dans le silence jusqu’à la fin de la soirée. J’ai joué à Man­ches­ter et j’ai usé de ce strat­a­gème con­tre Quak­er City. C’é­tait un sound sys­tem renom­mé ! Et on en a tous deux rigolé. [rire]

Cut­ting Edge – Avez-vous con­cou­ru con­tre beau­coup de sound systems ?

Legs The Giant – Oui, j’ai joué avec Duke Reid et Cox­sone de Brix­ton. Je suis égale­ment entré en com­péti­tion avec un sound sys­tem de Man­ches­ter qui se nom­mait Lord Cass. Tu peux lui deman­der, je l’ai fait fuir et aban­don­ner son sound. Quand je suis arrivé et que j’ai com­mencé à plac­er les enceintes, Cass se pavanait avec ses « Lord this » et « Lord that ». Je suis resté de mar­bre. Je suis Legs The Giant et j’en­tendais bien lui prou­ver. J’avais la réserve de puis­sance néces­saire pour le réduire au silence. Je n’al­lais pas jouer avec cette même inten­sité toute la nuit, mais j’al­lais lui faire savoir de quel bois je me chauf­fais. Cass est venu me voir à la fin et m’a dit, « Cette dance ne se repro­duira pas deux fois !» [rire]

Cut­ting Edge – Aviez-vous des Dub­plates comme armes secrètes ?

Legs The Giant – Oui ! [rire] C’est pré­cisé­ment l’atout qui m’a per­mis de vain­cre Lord Cass. J’ai un de mes cousins qui un chanteur tal­entueux. Il s’ap­pelle Owen Gray et il s’arrangeait pour enreg­istr­er des spe­cials com­por­tant mon nom.
Je fai­sais aus­si usage de dis­ques rares qui étaient pressés à quelques exem­plaires avant leur sor­tie offi­cielle. Je me rap­pelle d’une nuit où je jouais avec Duke Vin de Lon­dres. J’avais obtenu un morceau exclusif directe­ment de Jamaïque et j’é­tais le seul ici à en pos­séder un exem­plaire. Je con­nais­sais le pro­duc­teur et un ami s’é­tait débrouil­lé pour le faire par­venir. C’é­tait un instru­men­tal inti­t­ulé East­ern Stan­dard Time. Vin jouait mer­veilleuse­ment bien cette nuit là. Mais lorsque j’ai passé ce disque, j’ai gag­né la faveur du pub­lic et je suis sor­ti grand vain­queur ! J’éprou­ve un intérêt par­ti­c­uli­er pour les instrumentaux.

East­ern Stan­dard Time – Don Drummond

Cut­ting Edge – Aviez-vous un Dee­Jay au sein du sound system ?

Legs The Giant – Oui ! Il nous a mal­heureuse­ment quit­tés. On l’ap­pelait Ted­dy. Mon degré d’im­pli­ca­tion dans le sound était min­ime. J’ai con­stru­it le sound sys­tem et je l’ai con­fié en ges­tion à Ted­dy.

Cut­ting Edge – Vous n’avez donc jamais pris les manettes du sound system ?

Legs The Giant – Non ! J’ai conçu le sound sys­tem et je l’ai mis en place comme une sorte de vit­rine pour que les per­son­nes qui assis­tent aux soirées se dis­ent « Qui a fab­riqué ça ?» Une fois iden­ti­fié, ils venaient me voir et me dis­aient, « Legs, il faut que l’on se voit demain matin !» Tu vois ! [rire]
C’est ain­si que je pou­vais engranger un peu d’ar­gent sur la con­cep­tion de sound sys­tems. La plu­part des con­struc­teurs ne s’embarrassent pas d’un sound system.

Cut­ting Edge – Est-ce que vous col­la­boriez étroite­ment avec Bujum de Duke Alloy ? Il sem­blait béné­fici­er de votre dernière évo­lu­tion tech­nique en matière de matériel.

Legs The Giant – Nous étions effec­tive­ment proches. Cer­tains esprits mal­in­ten­tion­nés et envieux col­por­taient la rumeur que j’avais eu une aven­ture avec sa soeur et que pour cette rai­son, je favori­sais Bujum. Mais ce ne sont que des baliv­ernes ! Il est un ami et il s’est tou­jours ren­du disponible pour moi quand j’en avais besoin. Peu importe les travaux que j’en­tre­pre­nais à mon domi­cile, il répondait présent. Je lui dis­ais, « Bujum, je dois faire ceci et cela !» A chaque fois, il me répondait, « Aucun prob­lème !» et il se présen­tait immé­di­ate­ment. Ce n’est pas comme cer­taines per­son­nes que vous ne revoyez pas parce qu’ils sont hap­pés par les engage­ments famil­i­aux. Le sound sys­tem que j’ai dévelop­pé pour lui, je l’ai fait de bon coeur. Et il en est de même pour Bujum qui a tou­jours agit de façon dés­in­téressée, sans arrière-pen­sée, comme de vrais amis.

Amplifi­ca­teurs de Duke Alloy équipés de 24 KT88s cha­cun – © Cut­ting Edge

Cut­ting Edge – Il sem­blerait que Carl (Quak­er City) sab­o­tait les enceintes de Duke Alloy. Un petit clou était glis­sé sub­rep­tice­ment dans les fils qui reli­aient les enceintes afin de les court-cir­cuiter et les ren­dre inopérantes.

Legs The Giant – Oui ! La com­péti­tion était féroce et les petites rus­es sournois­es étaient mon­naie courante autre­fois. Le bais­er de judas ! [rire]
J’avais décou­vert ce strat­a­gème depuis longtemps et j’ai trou­vé la parade. Une sim­ple aigu­ille dans votre câble pou­vait réduire au silence votre sound sys­tem. Pour con­tr­er la manoeu­vre, au lieu de reli­er les haut-par­leurs en série, je fai­sais un mon­tage série / par­al­lèle. Ain­si, si on épin­gle ton fil, seule l’en­ceinte con­cernée est ren­due inac­tive, lais­sant le reste de ton instal­la­tion opéra­tionnelle. Donc ton rival est dans l’im­pos­si­bil­ité de te met­tre à quia ! Ils étaient désarçon­nés lorsqu’ils ont con­staté que leur sub­terfuge ne fonc­tion­nait plus ! [rire]

Cut­ting Edge – J’ai enten­du dire que vous pou­viez être en con­tact avec le courant élec­trique sans risque d’élec­tri­sa­tion ou d’électrocution.

Legs The Giant – Oui, je peux manip­uler la ten­sion du secteur. Mais pour cela, il vous faut un mod­èle de chaus­sures spé­ci­fique. Si tu portes de sim­ples chaus­sures en cuir, tu seras tué sur le coup ! Il est néces­saire d’avoir un dis­posi­tif isolant avec un genre de semelle en éponge. J’é­tais ain­si amené à tester la présence de courant dans les fils électriques.

Cut­ting Edge – Vrai ou faux ? Durant une soirée où vous jouiez aux côtés de Sir Jes­sus et Mas­si­gan à Win­son Green, un sound­man témoignait s’être mis à l’abri parce qu’il vous avait vu utilis­er un bâton pour met­tre en marche votre amplis. Il pré­cise que ce dernier était dépourvu de son cou­ver­cle alors que de l’eau gout­tait du toit. 

Legs The Giant – Moi ? C’est un men­songe ! C’est une hérésie ! Cepen­dant, c’é­tait le cas d’un autre con­struc­teur de Birm­ing­ham qui est main­tenant décédé. Pour met­tre le com­mu­ta­teur de ses amplifi­ca­teurs sur « on / off », il était néces­saire d’u­tilis­er un manche à bal­ai.
Par ailleurs, je me sou­viens d’un sound sys­tem que j’ai conçu en 1962. Le pro­prié­taire se nom­mait Tom. Il pos­sé­dait égale­ment un sound sys­tem en Jamaïque, Tom The Great Sebas­t­ian. C’é­tait l’un des pre­miers sound sys­tems et il ani­mait prin­ci­pale­ment les mariages. Jes­sus était sous l’égide de Tom car il oeu­vrait pour lui, jusqu’à ce que je les remette à leur place.
Un jour, Tom a été con­traint de s’ab­sen­ter pour aller en Jamaïque. Il était mal­heureuse­ment engagé sur une soirée qu’il n’al­lait pou­voir hon­or­er et il m’a donc demandé de le rem­plac­er au pied levé. Je lui ai dit, « Bien enten­du, ça ne me dérange pas !»
Le jour J, nous nous sommes donc ren­dus sur place, nous avons instal­lé le matériel et tout le monde pas­sait un bon moment. Quand soudaine­ment, Jes­sus a jail­li de nulle part ! J’en­tendais, « Boom, Boom, Boom !» Il déchargeait son équipement. Je l’ai donc inter­pelé, « Jes­sus, Tom m’a demandé de jouer à sa place. Si j’avais su que tu venais, j’au­rais pu me pro­duire ailleurs ce soir. Que viens-tu faire exacte­ment ?»
Il s’ex­cla­ma, « Tom a tout juste débar­qué de Jamaïque avec pléthores de nou­veaux dis­ques !»
J’ai dit, « D’ac­cord, installe-toi !»
Mais Tom savait qu’il se tirait une balle dans le pied car il con­nais­sait le poten­tiel de mon sound sys­tem. Bien que je con­stru­i­sais pour d’autres, mon pro­pre sound demeu­rait au dessus du lot. Ils ont donc com­mencé à jouer et je me suis alors aperçu que la per­son­ne en charge de mon sound deve­nait irri­ta­ble. Je lui ai donc dit, « Lloyd, qu’est-ce qui te con­trarie à ce point ?»
Il me répon­dit, « Jes­sus ne devait pas être présent !»
J’ai juste dit, « Peu importe, ce n’est pas gênant. Quand vien­dra ton tour, on le fera pli­er. C’est d’une sim­plic­ité enfan­tine !»
Quand Jes­sus a eu fini, J’ai dit à Lloyd, « C’est le moment !» Je me suis dirigé vers la malle de dis­ques d’où j’ai extrait un seul disque. Je l’ai don­né à Lloyd qui s’écria, « Non, non, non, ne joue pas celui-ci !» J’ai alors insisté, « Fais-moi con­fi­ance et joue ce disque !»
Quand il a passé ce morceau, toute l’as­sis­tance est dev­enue euphorique et sur­voltée ! Le disque s’in­ti­t­u­lait You’re Won­der­ing Now by Andy & Joey.

You’re Won­der­ing Now – Andy & Joey

Tom qui reve­nait juste de Jamaïque n’avait pas même pas eu écho de son exis­tence ! Il avait ramené des dis­ques en abon­dance mais était passé à côté de celui-ci. Durant son absence, un de mes amis m’avait fait par­venir un car­ton de dis­ques. C’é­tait une de mes con­nais­sances en Jamaïque avec qui j’avais tis­sé des liens alors que l’on s’ini­ti­ait au méti­er et il savait que je pos­sé­dais un sound sys­tem. Par con­séquent, il me four­nis­sait en musique. Son nom était Soris. A l’époque en Angleterre, le seul moyen pour se pro­cur­er des morceaux était de se les faire envoy­er de Jamaïque. Soris savait exacte­ment ce que je pos­sé­dais déjà et ce dont j’avais besoin. Il m’a envoyé une boîte, je peux te dire, une boîte de cette dimen­sion là [Legs fait un geste de la main pour illus­tr­er la taille], pleine de dis­ques. C’est un des dis­ques qu’il con­te­nait qui m’a per­mis de vain­cre Tom. A la suite de cette soirée, Tom est venu et s’est excusé. Il m’a dit, « Je n’au­rais jamais présagé que Jes­sus aurait fait ça. Mais je savais que tu lui don­nerais une bonne cor­rec­tion.»
J’ai répon­du, « Il a reçu une bonne cor­rec­tion, mais toi égale­ment !» [rire]
C’é­tait une péri­ode exal­tante et bon enfant. Il n’y avait ni dis­putes, ni injures. C’é­tait vrai­ment différent.

Cut­ting Edge – Que pensez-vous de la scène sound sys­tem actuelle ?

Legs The Giant – Les sound sys­tems con­tem­po­rains ne ressem­blent plus à des sound sys­tems mais plutôt à des sys­tèmes de sonori­sa­tion grand pub­lic. Je fais part de mon point de vue à divers­es per­son­nes mais il ne com­pren­nent pas. Les gens pensent qu’il est doré­na­vant plus facile d’aller dans un mag­a­sin et d’y acheter un amplifi­ca­teur. Je leur dis, « Faites comme bon vous sem­ble !» Sou­vent, ils revi­en­nent vers moi pour remédi­er à des dys­fonc­tion­nements qu’ils ren­con­trent avec leurs nou­veaux achats. Une chose est cer­taine, les gens ne pour­ront jamais obtenir dans le com­merce ce que nous con­cevons, un matériel pen­sé et conçu spé­ci­fique­ment pour cette musique et pour le sound system.

Voici un panora­ma con­den­sé des sound sys­tems ayant util­isé le matériel fab­riqué par Legs The Giant :

  • Count Fire (Birm­ing­ham),
  • Dread­nought (Birm­ing­ham),
  • Duke Alloy (Birm­ing­ham),
  • Duke Neville (Birm­ing­ham),
  • Gaffa David (Lon­don),
  • Jun­gle Man (Birm­ing­ham),
  • Lord David (Lon­don),
  • Quak­er City (Birm­ing­ham),
  • Rosko The Musi­cal Rock­et (Birm­ing­ham),
  • V‑Rocket (Not­ting­ham),

    Et bien d’autres encore …

Sincères remer­ciements à Tony Eng­lish’ Welch et Ran­gan Momen